Les États-Unis ont été des
précurseurs en matière de restructuration des bilans bancaires [Edwards et
Mishkin, 1995; Mishkin, 19961. L’importance des banques commerciales comme
source de financement des emprunteurs non financiers a fortement décru. En
1974, les banques fournissaient 35 % de ces financements, en 1995, elles n’en
assuraient plus que 22 %. La part des actifs gérés par les banques dans le total
des actifs gérés par l’ensemble des intermédiaires financiers constitue une
autre façon de percevoir le déclin de l’intermédiation bancaire traditionnelle.
Cette part est tombée de 38 % sur la période 1960-1980 à 28 % en 1995. Le
passif des banques américaines a également subi des mutations considérables.
Ainsi, les dépôts mobilisables par chèque représentaient 60 % du passif
bancaire en 1960, ils sont tombés à moins de 20 % en 1994, 18 % en 2001. Le
déclin de l’intermédiation bancaire traditionnelle aux États-Unis a provoqué
une forte baisse de profitabilité qui a entraîné une concentration du secteur
bancaire et, en réaction, une réorientation de l’activité des banques vers des
prêts plus risqués et vers les activités hors bilan. Cet engagement massif dans
les activités hors bilan se reflète dans l’accroissement de la part des revenus
issus de ces activités (commissions et revenus de négoce) dans le total du
revenu des banques. Cette part est passée d’une moyenne de 19 % sur la période
1960-1980 à 43 % du produit net bancaire en 1999.
Si les États-Unis ont amorcé
le mouvement de restructuration des bilans bancaires, les autres pays
industriels ont connu un phénomène comparable. Ainsi en est-il des banques
françaises.
La transformation, en vingt
ans, de la structure de bilan des grandes banques commerciales françaises est
évidente. On observe une simultanéité entre le réaménagement de l’actif, décrue
de la part des crédits à la clientèle et accroissement du portefeuille de
titres, et celui du passif, baisse de la part des dépôts de la clientèle et
augmentation des obligations et titres négociables. Cette mobiliérisation du
bilan des banques françaises signifie, d’une part, qu’une proportion croissante
des financements quelles accordent passe par l'acquisition de titres émis par
les agents à besoin de financement plutôt que par l’octroi de crédits; et,
d’autre part, qu’elles drainent une part croissante de leurs ressources en
émettant des titres. Dans le même temps, les conditions de taux d’intérêt
débiteurs (sur les crédits) et créditeurs (sur la collecte de ressources) sont
devenues de plus en plus dépendantes des conditions de marché. Cette
conséquence induite de l’accroissement de la concurrence dans la finance
associée à la déformation de la structure de bilan des banques pèse sur la
marge d’intermédiation bancaire. En réaction, les banques ont fortement accru
leurs revenus hors marge d’intermédiation, c’est-à-dire les revenus liés aux
opérations sur titres et aux commissions engendrées par les opérations de marché,
notamment sur dérivés. Le produit net bancaire représente une forme de valeur
ajoutée propre au monde bancaire. Sa décomposition en revenus liés à
l’intermédiation bancaire traditionnelle (intérêts reçus moins intérêts versés)
et revenus divers, c’est-à-dire hors marge d’intermédiation, permet
d’appréhender la montée en puissance des opérations de marchés dans l’activité
des banques.